Publié le 1 octobre 1986

01/10/1986 : Danielle Sivadon : L’art et la manière de manger son thérapeute

par Danielle Sivadon

Sur l’agenda de mon bureau, je marque chacun de mes rendez-vous des initiales de la personne que j’attends. Chaque matin, à la lecture de cette page curieusement laconique je sais un peu où j’en suis avec chacun de ceux qui vont venir là sur le fauteuil ou le divan. De ces initiales, toute une série d’émotions, d’évocations, se détachent : des yeux, un grand-père, un parfum, un rêve…
Certaines initiales sont ombrées d’un questionnement.
SG : pourquoi n’est-elle pas venue à sa dernière séance ?
RD : ces silences, ces soupirs, cette nouvelle manière de froisser le divan ?
Certaines autres constituent une sorte de ponctuation.
DS : la séance est précédée d’un coup de sonnette discret, harmonieusement écourté, résumant pour moi ce monde dont il dit s’exclure.
AL : déjà cinq ans, ses seules initiales incisent en un point précis l’après-midi d’une éraflure, d’une entaille qui détache le bas de la page comme si, au-delà, les heures allaient plus décidément vers le soir.
Certaines initiales sont pâlies de quelque appréhension.
Pourquoi avec CP cette irrépressible envie de dormir ?
Véritablement pour JD je ne fais rien.
Rares sont ceux que je n’identifie pas au seul vu de leurs initiales ; simplement un flottement, un trébuchement s’interposent : BH, LB, c’est qui ?
Anne est peut-être de ceux-là, plus assidûment, comme si sa présence imaginaire se faisait trop insistante.

Dès la première séance, elle me dit qu’elle ne peut pas se souvenir de mon visage, d’autres s’interposent sans cesse. Elle même ne se reconnaît jamais immédiatement dans les glaces qu’elle croise. Elle est obligée de se recomposer, de se reconstruire. Lorsqu’elle faisait du dessin, elle ne pouvait se représenter elle-même. Et sur les albums de photos, cette ombre qui sort du champ, c’est elle.