Publié le 5 mai 1987

05/05/1987 : Félix Guattari : Référence et consistance

par Félix Guattari

1 - Le Plan d’immanence chaotique

Il convient, en premier lieu, d’entretenir une certaine méfiance à l’égard des représentations trop statiques du chaos, celles en particulier, qui tenteraient de l’illustrer sous forme de mélange, de trous, de cavernes, de poussières, voire même d’objets fractals. Le chaos de la « soupe primitive » du Plan d’immanence a ceci de particulier qu’il ne se maintient à l’existence qu’en train de se « chaotiser » et de telle sorte qu’il soit impossible de circonscrire en lui, et de tenir pour consistante, une configuration stable. Chacune de celles qu’il peut esquisser a le don de se dissoudre à une vitesse infinie, pour ne pas dire absolue. Dans son essence, le chaos est rigoureusement insaisissable. Ne pouvant être affecté d’aucun sous-ensemble, on peut considérer qu’il échappe aux logiques des ensembles discursifs.

Est-ce à dire que le chaos est une chose toute simple, toute binaire et aléatoire ? Certes non, car le processus de protofractalisation qui le travaille génère tout autant du désordre que des compositions complexes virtuelles : celles-là mêmes dont je viens de dire qu’elles s’esquissent et se dissolvent à une vitesse infinie. (Relevons au passage que, dans une telle perspective, le statut du virtuel consisterait, pour une entité, à se trouver pris entre deux infinis : celui d’une absolue intensification existentielle et de son immédiate abolition.)

On partira donc de l’idée que les puissances actuelles du désordre se déclinent concurremment à des potentialités virtuelles de complexification. Le chaos devient ainsi une matière première de virtualité, l’inépuisable réserve d’une déterminabilité infinie. Ce qui implique qu’en y faisant retour, toujours il sera possible de retrouver en lui matière à complexifier l’état des choses. Ainsi chaque ordination se trouve doublée de tensions entropiques, tandis que, symétriquement, chaque séquence aléatoire est susceptible de bifurquer vers des attracteurs virtuels de complexification processuelle.