F - Je voudrais vous interpeller sur une position peut-être paradoxale qui s’est imposée à moi depuis longtemps concernant la machine. Il m’est apparu comme une évidence que quelque soient les façons dont on pouvait décrire les machines en engageant des systèmes réversibles, reproductibles, falsifiables, etc., ce qui me paraissait caractériser spécifiquement l’ordre de la machine, c’était un certain type de rapport d’irréversibilité dans le temps, et sur un plan phylogénétique. Quelque soient les caractères de réversibilité qui peuvent exister ontogénétiquement dans une machine, il n’est de machine que dans un phylum machinique. Une machine, un temps est toujours marqué par une certaine position dans un phylum historico-logicotechnico-scientifique. À un certain moment, à un temps donné T., une machine apparaît, compte tenu de ce qu’elle vient après toute une série de systèmes machiniques et qu’elle peut potentiellement déboucher sur des retombées machiniques ou une évolution machinique. Cela me paraît permettre de repenser un certain nombre de notions telles celle du désir, d’où les expressions sur les machines désirantes et un certain nombre de catégories telles celle des temps machiniques – temps de l’irréversibilité, temps des phylums machiniques.
Cette position est une source de malentendus et en tous cas assez inconfortable, mais elle amène notamment une distinction entre les structures mécaniques et les systèmes machiniques. Ce qui caractérise les systèmes machiniques, c’est qu’ils ne peuvent jamais être totalement circonscrits dans des coordonnées spatio-temporelles, dans des territoires et c’est seulement une vision réductrice de la machine, notamment de la machine technique, d’un système clos, qui permet cela. En réalité il n’existe pas de systèmes machiniques en dehors des processus phylogénétiques engageant un certain nombre de dimensions – dimensions de déterritorrialisation : il n’y a pas coïncidence entre l’existence de rapports systémiques et un ensemble circonscrit dans un territoire donné comme les structures données ; d’autre part, ces différents systèmes peuvent s’entrecroiser les uns par rapport aux autres sans interaction : un système machinique dans l’ordre physique peut s’entrecroiser avec un système d’ordre mathématique, logique, éthologique. Les systèmes machiniques ont cette capacité d’avoir des rapports transversaux sans que ce soit des rapports d’interaction engageant des coordonnées énergético-spatio-temporelles.
Publié le 6 février 1984
06/02/1984 : Michel Veuille, Christiane Frougny, Félix Guattari : La Machine, discussion

Voir aussi
06/02/1984 : Michel Veuille et Christiane Frougny : La Machine
par
Christiane Frougny
,
Michel Veuille

MICHEL VEUILLE Avec Christiane, nous allons essayer de faire un séminaire sur le concept de machine – on parle beaucoup de machines ici –moi dans le rôle du biologiste et Christiane dans le rôle de la mathématicienne, (...)
12/03/1985 : Félix Guattari : Machine abstraite et champ non discursif
par
Félix Guattari

J’aurais moins de scrupules du fait qu’on est en petit comité pour repartir sur les dimensions relativement abstraites de ma réflexion, qui tourne toujours un peu autour des mêmes points et qui peut-être se stabilise (...)