Publié le 8 novembre 1983

08/11/1983 : Danielle Sivadon : Le Voyage de Pierre

par Danielle Sivadon

Il était revenu de son voyage à Barcelone.
Nous n’en savions rien.
De tout ce voyage, il semblait d’ailleurs que nous n’avions plus rien à en savoir.
Pierre regagna l’hôtel où il habitait dans le 14e. Quelque jours plus tard on le retrouva mort, barricadé dans sa chambre.
Suicide sans doute.
Le patron de l’hôtel était algérien, originaire du village où Pierre avait fait autrefois son service militaire. Pierre et lui s’entendaient bien. Un Juif polonais et un Kabyle ; leur rencontre représentait un moment d’humour dans la trajectoire de ces deux peuples que les diasporas ont nomadisés, ou exterminés.
À vingt ans d’intervalle, l’hôtel de la rue des Plantes, comme le village des montagnes de Tizi-Ouzou, servaient ainsi de scène au croisement de ces deux destins, réduits ici à leur plus baroque expression – un Juif fou et un Berbère du 14e.
Les coups de l’histoire ensemble, le soir, ils s’en amusaient.
Cela faisait assez bien leur affaire.
Je parle de Pierre, parce qu’il vient de mourir ce qui ne me plaît pas du tout. Peut-être est-ce aussi parce que sa mort, son parcours rue de Châtillon et le fonctionnement du « Collectif » (1) sont indissociables.

(1) Le « Collectif » de la rue de Châtillon est un lieu cogéré par deux associations, une
de patients, usagers de la psychiatrie, Trames, et une de non patients, Adres. Les deux associations sont fédérées dans Traverse.