Publié dans Chimères n° 7.
« Quand au cours d’un rêve j’ai peur des brigands, les brigands sont imaginaires, mais la peur, elle, est bien réelle », relevait Freud, dans L’Interprétation des rêves (1). Le contenu d’un message onirique peut être transformé, maquillé, mutilé, mais pas sa dimension affective, sa composante thymique. L’affect colle à la subjectivité, c’est une matière glischroïdique, pour reprendre un qualificatif que Minkowski employait pour décrire l’épilepsie.
Seulement, il colle aussi bien à la subjectivité de celui qui en est l’énonciateur qu’à celle dont il est le destinataire et, ce faisant, il disqualifie la dichotomie énonciative : locuteur-auditeur. Spinoza avait parfaitement repéré ce caractère transitiviste de l’affect (« … il nous est impossible de nous représenter un être semblable éprouvant une certaine affection sans éprouver nous-même cette affection ») et dont résultent ce qu’il appelait « une émulation du désir » et le déploiement de compositions affectives multipolaires.
Ainsi, la tristesse que nous ressentons à travers celle de l’autre devient commisération, tandis qu’« il est impossible que nous nous représentions la haine envers nous, chez notre semblable, sans le haïr à notre tour ; et cette haine ne peut aller sans un désir de destruction qui se manifeste par la colère et la cruauté » (2). L’affect est donc essentiellement une catégorie pré-personnelle, s’instaurant « avant » la circonscription des identités, et se manifestant par transferts illocalisables, tant du point de vue de leur origine que de leur destination.
1. L’Interprétation des rêves, P.U.F., 1967.
2. Spinoza, Œuvres complètes, Pléiade, Gallimard, 1954.