Je me propose ici de décrire une manière de travailler, progressivement définie, par essais et erreurs. L’espace de la séance, si réduit soit-il, y est conçu comme un dispositif institutionnel complexe. Les questions posées par la psychose appellent un mode d’intervention où l’interprétation signifiante cède le plus souvent le pas à l’élaboration d’un espace imaginaire dont le corps libidinal étalonne la cartographie. Faire et dire, comprendre et prescrire n’y seront pas aussi clairement dissociés que dans une stricte pratique d’analyse. D’une façon plus générale, mon principal souci est de rendre patents, donc utiles, les divers registres sémiotiques mis en jeu dans la cure. L’avènement du « sens » et de la « vérité » nous paraît souvent moins urgent que la mise en place d’une corporéité imaginaire, corrélative d’un territoire existentiel limité. De cela nous sommes à la fois l’observateur et l’artisan. Une assez longue histoire témoigne des modifications, des écarts ou des transgressions auxquels la psychothérapie des psychoses conduit nécessairement ceux qui s’y consacrent ; mais aussi de ce qu’une théorie de l’inconscient peut attendre de la systématisation d’une pragmatique dont je ne fais ici qu’ébaucher quelques directions.
Quand il vient me voir pour la première fois, envoyé par une de mes patientes, professeur de Faculté, Michel n’a pas encore trente ans. De taille moyenne, plutôt élancé pour sa carrure, le front dégagé, le visage boutonneux, il ne me fait pas bonne impression. Je le trouve buté, légèrement arrogant, hostile. Il me déclare que dix thérapeutes au moins ont déjà déclaré forfait. Il surenchérit ainsi sur la mise de son amie B. (mon analysante) qui est surtout liée avec son frère aîné. Je sens très tôt que ma « réputation » est en jeu, ou pourrait l’être. La présomption le dispute à l’appréciation des risques. J’ai envie de m’occuper d’un cas réputé difficile, d’un patient avec qui je n’aurais eu aucun commerce institutionnel, dans le seul champ clos de mon cabinet. Je décide néanmoins de différer mon accord, pressentant trop de travail et de préoccupations. Je me propose comme médecin-psychiatre et l’envoie chez M.R., un jeune collègue que j’ai analysé quelques années auparavant. Je reçois dix jours plus tard une lettre de celui-ci dont je livre ici l’intégralité, car elle décrit à la fois le problème à traiter et la mise en scène « transférentielle » de cette prise en charge.