Publié le 21 juin 1984

21/06/1984 : Félix Guattari : Les schizoanalyses

par Félix Guattari

J’avais besoin de votre assistance pour me clarifier les idées. Je me suis aperçu – cela fait d’ailleurs partie de ce que je voudrais aborder ici – que, dans certaines situations, il n’était pas possible de procéder à une telle clarification sans le secours d’un agencement collectif d’énonciation. Sinon, les idées vous tombent des mains ! Depuis déjà pas mal de temps, j’étais à la recherche d’un polygone de sustentation pour circonscrire ce qui traîne dans ma tête. Je ne sais si, à nous tous ici, nous constituerons un tel polygone. On verra bien ! Nous avions commencé de le mettre en place, Mony Elkaim et moi, au cours de discussions antérieures ; seulement c’était de façon épisodique, toujours « à la sauvette », dans les coulisses de congrès et de rencontres, où j’étais amené à discuter ses références systémistes en thérapie familiale. Mais, jusqu’à présent, nous ne nous étions jamais vraiment donné les moyens de raccrocher ces réflexions au travail critique que j’ai mené par ailleurs, avec Gilles Deleuze, sur la théorie et la pratique psychanalytique.
Ce que je propose aujourd’hui, après un certain déblayage, une certaine « tabula rasa », c’est de dégager ce qui pourrait encore tenir debout dans les décombres psychanalytiques et qui mériterait d’être repensé à partir d’autres échafaudages théoriques – si possible moins réductionnistes que ceux des freudiens et des lacaniens.
(...)
Ce séminaire sur « les schizoanalyses » ne trouvera donc son propre régime que s’il se met à fonctionner lui-même sur un niveau que je qualifierais de « méta-modélisation ». Autrement dit, s’il nous permet de mieux cerner nos propres agencements d’énonciation – mais il vaudrait mieux dire : les agencements d’énonciation auxquels nous sommes adjacents.
À ce propos je tiens à répéter que je n’ai jamais conçu la schizoanalyse comme une nouvelle spécialité, qui serait appelée à se mettre sur les rangs du domaine psy. Ses ambitions devraient être, selon moi, à la fois plus modestes et plus grandes. Plus modestes parce que, si elle doit exister un jour, c’est qu’elle existe déjà un peu partout, de façon embryonnaire, sous diverses modalités, et qu’elle n’a nul besoin d’une fondation institutionnelle en bonne et due forme. Plus grande, dans la mesure où elle a vocation, selon moi, de devenir une discipline de lecture des autres systèmes de modélisation. Pas à titre de modèle général : mais comme instrument de déchiffrement des pragmatiques de modélisation dans divers domaines.