Je n’ai pas préparé de discours construit, d’abord parce que je n’en avais pas le temps, mais même si j’avais eu le temps, je ne sais pas si je l’aurais préparé, parce que ce soir je vais introduire un philosophe dont vous avez pu entendre parler en association avec Russel : Alfred North Whitehead ; mais je vais le présenter sous un aspect, c’est-à-dire à une période de sa vie où il n’a plus rien à voir avec Russel, et où d’ailleurs Russel l’a considéré comme complètement fou, ce qu’il a d’ailleurs fait avec Wittgenstein aussi, quand il n’a plus suivi le chemin des tractatus ; donc, un Whitehead qui, lui, est relativement peu connu. Et c’est un Whitehead assez curieux pour que je préfère essayer de discuter, qu’est-ce que ça veut dire de faire des choses comme il a essayé de faire, plutôt que d’essayer de vous donner un panorama construit, parce que finalement ce serait assez compliqué, je vais vous montrer pourquoi ; parce que désormais, depuis quelques semaines, je ne saurai plus comment construire le panorama, c’est une des choses dont je vais vous parler, cela fait quelques semaines que j’ai ce livre là, ce qui a beaucoup changé mon rapport aux textes de Whitehead.
Donc ce dont je voudrais discuter ce soir, c’est : est-ce qu’on peut encore aujourd’hui, comme on a essayé, disons au XVIIe siècle, des gens comme Leibniz, Descartes ou Spinoza, est-ce qu’on peut encore prendre au sérieux un projet de cosmologie rationnelle, ou bien est-ce que nous sommes soumis, est-ce que nous tombons soit sous la critique de : ce n’est pas scientifique.
Qu’est-ce que ça veut dire ce n’est pas scientifique ? Ou bien sous le coup d’une critique comme celle de Heidegger : qu’est-ce que ça veut dire, ontothéologie ? Comme on le verra, cette cosmologie se présente effectivement avec une figure de Dieu, donc on va aussi discuter de Dieu ce soir, j’espère, et on va aussi discuter, j’aimerais bien, de ce que Whitehead appelle le rationalisme, puisqu’il s’agit bien d’une cosmologie rationnelle et que le ressort, l’exigence qui pour moi fait l’intérêt de ce que Whitehead a essayé de faire, ce sont bien les contraintes rationnelles qu’il s’est données. J’appellerai cela, par précaution stylistique, un hyper-rationalisme, distinction plutôt d’ordre tactique. En première analyse qu’entendre dans le cas de Whitehead par ce type de rationalisme ? Quand Whitehead parle de rationalisme, il en parle toujours comme d’une aventure expérimentale, ce sont ses termes : il s’agit d’un travail aventureux, sans garanties, sans fondement comme toute aventure, donc ce n’est pas une déduction ; et « expérimentale » au sens où l’expérimentation a pour intérêt les contraintes qu’elle se donne. Contrairement à l’empirisme, une expérimentation n’existe pas sans règles strictes. Si on parle d’expérimentation, c’est parce que on n’admet pas n’importe quel mouvement, n’importe quel type d’interprétation.