Chimères n° 21 : Tombeau pour un Œdipe

par Félix Guattari

La mort, mon vieux, tu comprends… Laquelle ? Celle dont on parle, la mort douce du dormir ou la mort du c’est fini, on n’en parle plus ?

Quand j’avais six ou sept ans, pendant tout un temps, chaque nuit, revenait dans le même cauchemar : une Dame en noir. Elle s’approchait du lit. J’avais très peur. Ça me réveillait. Je ne voulais plus me rendormir. Et puis mon frère, un soir, m’a prêté son fusil à air comprimé en me disant que je n’aurais qu’à lui tirer dessus si elle revenait. Elle n’est plus revenue. Mais ce qui m’a étonné le plus, je m’en souviens bien, c’est que je n’avais pas armé le fusil (réel).

Ça part dans deux directions à la fois. Du côté jardin – du côté du signifié –, c’est ma tante Emilia (la sœur du père), un nom tout noir, des robes toutes noires, sûrement une redoutable emmerdeuse… Du côté cour – du côté du signifiant – c’est l’armoire, l’armoire-miroir qui était en face de mon lit, tout ça dans la chambre de mes parents. Mais oui, mais oui ! L’armoire, la Dame en noir, la Dame de moire, l’arme noire, l’armoise, les armes du moi, la mouise des années 30, mon père avait fait faillite en se lançant, avec l’appui de cette tante Emilia, dans l’élevage du lapin angora : avec la crise et la mévente, on a fini par manger les lapins ! Papa au bord du suicide, mais à cause des enfants… (...)

Sous le titre « Tombeau pour un Œdipe. En guise de dédicace à Lucien Sebag et Pierre Clastres », ce texte est paru dans la première édition, aujourd’hui épuisée, de La révolution moléculaire, Ed. Encres.