Félix Guattari : La question des questions (février-mars 1992, Terminal N°57)

par Félix Guattari

Les configurations géopolitiques se modifient à grande allure tandis que les Univers de la technoscience, de la biologie, de l’assistance par ordinateur, de la télématique, des médias déstabilisent chaque jour davantage nos coordonnées mentales. La misère du tiers-monde, le cancer démographique, la croissance monstrueuse et la dégradation des tissus urbains, la destruction insidieuse de la biosphère par les pollutions, l’incapacité du système actuel à recomposer une économie sociale adaptée aux nouvelles données technologiques : tout devrait concourir à mobiliser les esprits, les sensibilités et les volontés. Au lieu de cela, l’accélération d’une histoire qui nous entraîne peut-être vers des abîmes, est masquée par l’imagerie sensationnaliste, et en réalité banalisante et infantilisante, que les médias nous confectionnent à partir de l’actualité.

La crise écologique renvoie à une crise plus générale du social, du politique et de l’existentiel. Ce qui se trouve mis en cause ici, c’est une sorte de révolution des mentalités afin qu’elles cessent de cautionner un certain type de développement, fondé sur un productivisme ayant perdu toute finalité humaine. Alors, lancinante, la question revient : comment modifier les mentalités, comment réinventer des pratiques sociales qui redonneraient à l’humanité – si elle l’a jamais eu – le sens des responsabilités, non seulement à l’égard e sa propre survie, mais également de l’avenir de toute vie sur cette planète, celle des espèces animales et végétales, comme celle des espèces incorporelles, telle que la musique, les arts, le cinéma, le rapport au temps, l’amour et la compassion pour autrui, le sentiment de fusion au sein du cosmos ?