Félix Guattari : Modèle de contrainte ou modélisation créative (avril-mai 1991, Terminal N° 53)

par Félix Guattari

Après Michel Foucault, et sans prétendre donner une interprétation historique générale des formations de pouvoir, on peut distinguer les sociétés de souveraineté, les sociétés de discipline et les sociétés de contrôle. Le souverain prélevait sa part sur les produits du travail humain à partir d’instances de pouvoir surplombant et surcodant des ensembles sociaux ayant conservé une certaine identité et autonomie territoriale – ethnies, villages, corporations etc.

La modélisation sociale restait ainsi relativement extérieure aux outils et aux dispositifs d’exploitation économique. Avec la discipline capitaliste la division du travail, le poids grandissant des machines énergétiques, les instruments sémiotiques régissant l’économie « déterritorialisent » les anciens groupes sociaux pour constituer des espaces productifs constituant autant de dispositifs d’enfermement matériels, institutionnels et mentaux. Le capitalisme remodélise le social dans ses moindres détails, depuis les appareils d’état, les équipements collectifs jusqu’aux comportements et affects individuels. Pour sa part, la machine urbaine fonctionne comme une sorte de proto-ordinateur qui sécrète, au fur et à mesure de l’évolution des besoins du système, des oppositions duelles entre ses classes exploitées et ses « élites », ses citoyens garantis et ses exclus, ses normaux et ses fous.