Publié le 1 octobre 1992

Félix Guattari : Pour une refondation des pratiques sociales (Le Monde diplomatique, 01/10/1992)

par Félix Guattari

(...) Comment recoller le corps avec la tête, comment articuler les sciences et les techniques avec les valeurs humaines ? Comment s’accorder sur des projets communs tout en respectant la singularité des positions de chacun ? Par quel moyen déclencher, dans le climat de passivité actuel, un grand réveil, une nouvelle renaissance ? La peur de la catastrophe sera-t-elle un moteur suffisant dans ce domaine ? Des accidents écologiques, tel Tchernobyl, ont certes conduit à un réveil de l’opinion. Mais il ne s’agit pas seulement d’agiter des menaces, il faut passer aux réalisations pratiques. Il convient aussi de se rappeler que le danger peut exercer un véritable pouvoir de fascination. Le pressentiment de la catastrophe peut déclencher un désir inconscient de catastrophe, une aspiration vers le néant, une pulsion d’abolition. C’est ainsi que les masses allemandes, à l’époque du nazisme, ont vécu sous l’empire d’un fantasme de fin du monde associé à une mythique rédemption de l’humanité. Il convient de mettre l’accent, avant tout, sur la recomposition d’une concertation collective capable de déboucher sur des pratiques novatrices. Sans changement des mentalités, sans entrée dans une ère post-médiatique, il n’y aura pas de prise durable sur l’environnement. Mais, sans modification de l’environnement matériel et social, il n’y aura pas de changement des mentalités. On se trouve ici en présence d’un cercle qui m’amène à postuler la nécessité de fonder une "écosophie" articulant l’écologie environnementale à l’écologie sociale et à l’écologie mentale. (...)

Ce texte a été publié de manière posthume, après le décès de Félix Guattari le 29 août 1992.