Publié le 1 décembre 1990

Félix Guattari, Toni Negri : Au-delà du retour à zéro (Futur antérieur n° 4, Hiver 1990)

par Toni Negri , Félix Guattari

Félix Guattari a publié récemment Cartographies schizoanalytiques, Galilée, 1989. Ce livre réunit différents matériaux théoriques et psychanalytiques ; Félix y élargit ses recherches antérieures à la fois par fragments et dans un ensemble très innovateur. Les questions de l’interview qui suit ne visent pas les aspects psychanalytiques de cet ouvrage. Elles portent plutôt sur les avancées qu’il permet sur le terrain plus traditionnel de la philosophie. Et c’est sur ce dernier terrain qu’il a été demandé à Félix Guattari de répondre.

Toni Negri : Je voudrais commencer par une question que j’ai aussi posée récemment à Gilles Deleuze à propos de Mille Plateaux. Dans ce livre, un des grands essais philosophiques du siècle, j’ai cru percevoir une note tragique. Les couples conflictuels qui sont dessinés là (procès/projet, singularité/sujet, composition/organisation, ligne de fuite/dispositif et stratégie, micro/ macro, etc…), tout ce qui en somme constitue un système ouvert, est par ailleurs, non pas refermé, mais contenu comme dans une tension insoluble et un effort sans fin. C’est en cela que me paraît consister l’élément tragique.

Félix Guattari : Joie, tragédie, comédie, les processus que j’aime qualifier de machiniques tressent un avenir sans garantie – c’est le moins qu’on puisse dire ! A la fois on est « faits comme des rats » et promis aux aventures les plus insolites, les plus exaltantes. Impossible de se prendre au sérieux mais impossible aussi de ne pas « s’accrocher ». Je ne vois pas tellement cette logique de l’ambiguïté comme une « tension insoluble », mais comme le jeu multivoque, polyphonique, de choix parallèles, quelquefois antagonistes, qui ne vous laisse d’autre recours que celui de la mauvaise foi, la bifurcation toutes affaires cessantes. Comment « faire avec » ces constellations intenables d’univers de référence. L’oubli peut être d’un grand secours mais il n’est pas à la portée de tous !

Toni Negri : Dans Cartographies schizoanalytiques, tu fais un pas supplémentaire dans l’articulation de topologies, de dynamiques et de procès de subjectivation. La phénoménologie y est développée à travers l’analyse des agencements généalogiques. Et tu es de plus en plus intéressé par les équipements collectifs de subjectivation. Or à analyser ceux-ci comme formes en faisant abstraction de leur insertion dans un système de pouvoir et de reproduction sociale, en donnant droit à la posture esthétique, n’as-tu pas l’impression de risquer le vice de formalisme des postmodernes, qui d’une manière paradoxale vident le mouvement, et considèrent comme épuisée l’histoire supposée inépuisable ? Ne joues-tu pas trop avec l’idée de « l’éternel retour » ? (...)

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