HOMMAGE À JACQUES GAILLOT

Pour Jacques Gaillot

L’engagement de Jacques Gaillot a été constant aux côtés de ces « personnes qui ne
sont personne » : c’est la longue liste des « sans ».
Sans-papiers, sans-toit, sans-droits, sans territoire… Mais aussi sans-frontières, sans
distinction d’origine ou de genre. Infinie déclinaison du mot sans.
Une nuée, des multitudes de sans-nom.
Un mot sans qui peut cependant faire sonner une autre musique, celle de l’élan
collectif, des liens tissés, d’un nouveau rapport au monde, qui ouvre à la puissance
d’agir et au devenir.
Pour aider à rendre visibles et audibles ces sans-grades, ces sans-cravates et ces sansnom,
il fallait bien, aussi, que des noms portent la voix et s’affichent.
Jacques Gaillot aura été une personnalité comme on dit – une personne qui a un
« nom », qui donne de sa personne et de son nom, pas seulement en apposant sa
signature au bas d’un texte, mais bien dans l’action, aux côtés de ceux qui ne sont
personne avec quelques complices en personnalité de cette époque : Albert Jacquard,
Léon Schwartzenberg, l’abbé Pierre, et notre chère Mona Lisa Klaxon alias Jacques
Higelin…
Mais ce genre de chose a un prix.
En 1995, la hiérarchie catholique prend une décision aussi – involontairement –
surréaliste que désopilante : l’évêque d’Évreux est prié si l’on ose dire d’aller exercer
son ministère ailleurs. Non, il ne sera pas excommunié ou torturé puis dévoré par les
flammes du bûcher : le voici nommé évêque au siège épiscopal de Parténia, dans la
région de Sétif ! Mais encore, plus précisément, Parténia, c’est où ? Hé bien vous
allez rire, personne ne le sait : ledit siège a disparu des radars dès le Vème siècle et sa
localisation semble perdue à jamais…
Parténia, c’est littéralement, « inconnu à cette adresse inconnue ». La presse ellemême
s’en mélangera les pinceaux les stylos et les claviers, qualifiant dans un premier
temps, par une géographie très approximative, le siège d’« évêché des sables », en
confondant Maurétanie algérienne et Mauritanie… or point de sable dans ce coin, la
région de Sétif n’est pas du tout un désert !
Dommage, l’image était plaisante, mais passons.
Au cours de ce long exil immobile, Jacques Gaillot ne se rendra jamais à Parténia, car
si Parténia n’est nulle part, Parténia est partout. C’est un vague terrain, un terrain
vague, un non-lieu propice à toutes les aventures émancipatrices ; et voici comment
une sanction se retourne comme un gant en une joyeuse et combative plaisanterie, un
pied-de-nez rieur comme les beaux yeux bleus de Jacques.
Parténia, l’utopique, Parténia l’utopie – étymologie d’un lieu de nulle part. Parténia
capitale nomade de la lutte et de la résistance infinies des partout pour la justice des
nulle part.
Parténia, la rue du Dragon, territoires de lutte et de solidarité, pour celui qui, toute sa
vie, de toute sa foi et ses convictions, a été bien plus qu’une « personnalité » : un
homme qui a mis son nom, sa personne, au service de ceux et celles qui n’étaient
personne.