Publié le 1 avril 1973

Interview de Félix Guattari dans Actuel, n° spécial « C’est demain la veille » (01/04/1973)

par Félix Guattari

Actuel : Y aurait-il déjà eu dans l’histoire une libération vigoureuse et durable du désir, hors de brèves périodes de fêtes, de carnages, de guerres ou de journées révolutionnaires ? Ou bien croyez-vous à une fin de l’Histoire… à une révolution qui serait la dernière et libérerait à jamais le désir ?

Félix Guattari : Ni l’un, ni l’autre ! Ni fin de l’histoire, ni excès provisoires. Des fins de l’Histoire, toutes les civilisations en ont connues de multiples, généralement ni probantes, ni libératrices. Quant aux excès, aux moments de fête, ce n’est pas convaincant non plus. Il y a des militants révolutionnaires obsédés par l’esprit de responsabilité qui disent : « des excès sont concevables « au premier stade » de la révolution, mais ensuite il est indispensable de passer aux choses sérieuses, à ‘lorganisation, à la rééducation ». On sait où ça finit : avec les camps en Sibérie ! On retrouve toujours le vieux schéma : détachement d’une avant-garde apte à opérer les synthèses, à former un parti comme un embryon d’appareil d’Etat, prélèvement d’une classe ouvrière bien éduquée ; le reste n’étant qu’un résidu, un lumpenprolétariat dont on devra se méfier. Établir ces distinctions, c’est une façon de piéger le désir au profit d’une caste bureaucratique. (…)

Publié dans Félix Guattari, La Révolution moléculaire, Paris, Les Prairies ordinaires, 2012, p. 76 sq.